
Le doute, un mot neutre pourtant abordé de manière péjorative.
Le doute, c’est l’absence de certitudes. C’est l’absence de sécurité.
Pour notre fonctionnement primaire, le doute est antinomique.
Pour la raison, le doute est salvateur.
Comment douter ? Pourquoi douter ?
Faisons le tour du doute.



PLAIDOYER DE LA SORCIÈRE COSMOGONE
Une fois n’est pas coutume, je vais écrire cet article à la première personne.
En temps normal, j’emploie le “nous”, car mon objectif premier, celui qui guide tous les autres, c’est d’abattre les préjugés. Tous, quels qu’ils soient. Nos préjugés à tous et à toutes.
Intrinsèquement, l’écriture implique une part de subjectivité, même en cherchant la neutralité. Quoi que je puisse analyser en prenant le plus de recul possible, ce ne sera toujours que ma petite personne qui prendra la parole. Je dois donc accepter cette subjectivité et reconnaitre que les premiers préjugés à étrangler sont certainement les miens.
Qui je suis n’a que peu d’importance. Je suis autant vous que vous êtes moi.
Mes mots restent néanmoins emprunts de ma personne, si insignifiante puisse-t-elle être.
Aujourd’hui, quelqu’un m’a fait douter de mon propre doute, et c’était fortement déstabilisant.
En premier lieu, je me suis sentie dans l’obligation de me défendre. Qui peut prendre le droit de me dire que mon doute n’est pas LE doute, ne respectant pas LA méthodologie du doute ?
À douter du doute, vous dis-je.
Dans un second temps, j’ai ressenti de la colère. Je n’avais plus envie de me défendre. Je me sentais d’attaque. Contrariant, tout de même, de se faire “accuser” de pas “bien” douter. Surtout en ayant le doute comme philosophie de vie.
Finalement, j’ai choisi de prendre du recul. Il me fallait analyser mes émotions et celle que j’avais suscité chez mon interlocuteur. Comment le doute pouvait-il générer un conflit ?
Pour comprendre cela, ou du moins essayer, il faut évidemment passer par l’analyse du doute lui-même.
Qu’est-ce donc que ce fichu “doute” devant répondre à des critères dont je ne pige apparemment absolument rien ?



LA ZÉTÉTIQUE ET LE SCEPTICISME
La bannière de la zététique, c’est “l’art de douter”. Un peu étonnant comme expression pour une discipline très protocolarisée (l’art par définition ne se formatant pas en cases), mais passons.
Pour bien comprendre la notion de la zététique, il faut faire quelques recherches. Car si le concept du doute en lui-même peut paraitre simple à appréhender, la zététique ne se veut pas si généraliste.
Donc, qu’est-ce que la zététique ?
Si le terme est déjà utilisé dans l’Histoire dès le XVIème siècle, la néo-zététique a été théorisée par Henry Broch, qui a fondé le Laboratoire de zététique à l’université de Nice en 1998.
Le zététicien Richard Monvoisin a apporté ensuite ces définitions à la zététique :
- C’est “l’étude rationnelle des phénomènes présentés comme paranormaux, des pseudosciences et des thérapies étranges”.
- Et “l’art de faire la différence entre ce qui relève de la science et ce qui relève de la croyance”.
La mission de la zététique, c’est donc analyser des phénomènes ou des allégations scientifiquement réfutables. Quand la science n’explique pas, les zététiciens s’appuient sur les théories communément admises (ce sont eux qui le disent, et non moi qui les en accuse 😉 ).
Pour résumer, la zététique, c’est un procédé de débunk (de réfutation) de ce qui relève du bizarre.
La zététique est-elle du scepticisme ?
Oui… et non.
La zététique utilise le scepticisme scientifique.
Voici la petite nuance se résumant en un mot qui a été la source du conflit avec mon zététicien du jour.
C’est marrant, nous parlions il y a peu du sens que prennent les mots en fonction des uns et des autres (Les sociétés secrètes dirigent-elles le monde ?). En voilà un parfait exemple. Une expression amputée d’un mot, et deux personnes en viennent à ne plus accepter de se parler.
Hé oui… Le scepticisme est un terme général dont découlent plusieurs nuances.
Il y a donc le scepticisme scientifique, outil de prédilection de la zététique.
Mais il y a aussi le scepticisme philosophique, également appelé pyrrhonisme (en l’honneur de Pyrrhon d’Élis, philosophe sceptique grec du IIIème siècle avant notre ère).
Et ce scepticisme là, il explique que le faux et le vrai n’existent pas, seul est le doute (ce qui doit évidemment être appréhendé avec recul, relevant de la philosophie).
Bim bam boum, il y a doute et doute. Voilà ma misère du jour, qui se révèle un trésor.
Il y a la zététique, avec le scepticisme scientifico-méthodologique.
Et il y a le scepticisme philosophique, qui s’autorise à douter de tout, toujours, jusqu’à épuiser toutes les questions nécessaires.
Ce que l’art de douter est à la zététique, l’art de penser l’est à la philosophie.



JE DOUTE, TU DOUTES, NOUS DOUTONS.
Ni le zététicien ni moi n’avions tort. Nous ne parlions pas le même langage.
Son doute n’est pas mon doute.
J’ai choisi de douter de tout, et du doute lui-même. Il n’y a pas de méthodologie en philosophie. Il n’y a que la pensée et le raisonnement.
Nous ne pouvions pas être d’accord car nos définitions s’opposaient.
Mon doute m’impose de questionner jusqu’à la science, pour la simple et bonne raison qu’elle découle de l’humain, faillible.
Questionner un fait scientifique, ce n’est pas réfuter d’emblée sa véracité. C’est analyser sa mécanique pour la comprendre.
Est-il possible de réfuter un fait scientifique ? La science elle-même le fait.
Les sciences dites “dures” (comme les mathématiques, l’astronomie ou la physique) sont composées de preuves (1+1=2), mais aussi de théories sur ce que l’humain ne parvient pas encore à expliquer (ou pas intégralement).
Un fait scientifique, c’est donc une donnée sur laquelle nous nous appuyons, jusqu’à preuve du contraire.
Certains faits scientifiques ne changeront jamais, d’autres évolueront presque constamment.
Douter de la science est donc rationnel.
Affirmer en oubliant le caractère muable de la science elle-même ne l’est pas. Cela ferait indubitablement pencher la balance vers la croyance.
C’est sans doute ce que je n’arrive pas à comprendre à la zététique, alors que d’autres personnes oui.
Pour un zététicien, la science fait loi, avec ses preuves ET ses théories.
Pour moi, cachée derrière le pseudonyme La Sorcière Cosmogone, le doute est légitime jusqu’à la preuve indiscutable.



LA ZÉTÉTIQUE, LE PYRRHONISME ET L’HISTOIRE
Le sujet au cœur du conflit du doute, c’était le premier épisode Zoom sur, sur la Grande Pyramide de Gizeh.
Je n’arrivais pas à comprendre que le zététicien ne doutait pas des conventions historiques, tandis que lui me hurlait que mon doute n’avait pas raison d’être.
En cernant la nuance langagière ayant généré ce conflit, je comprends que ce qui est pour moi une aberration logique représente pour lui un fait scientifique (qui ne peut se discuter qu’à la preuve du contraire, alors que moi je discute jusqu’à la preuve du contraire).
J’aborde l’Histoire avec un bagage sociologique et philosophique. La zététique la rationnalise par des faits scientifiques, même théoriques.
Encore une fois, aucun n’a raison ou tort. C’est en effet une question de méthodologie.
C’est aussi le propre de la dualité de l’Histoire, qui est une science aussi dure que molle (les sciences molles, comme la psychologie ou la sociologie).
L’Histoire, ce sont des preuves (parfois) et des théories communément admises (souvent).
Ces théories communément admises relèvent de l’analyse et de la déduction, s’appuyant sur des méthodologies physico-chimiques, mais aussi anthropologiques, sociologiques et théologiques.
Les “preuves” anthropologiques, sociologiques ou théologiques ne sont JAMAIS indiscutables. C’est l’essence même de ces disciplines, en constante réadaptation.
Ce qui est bien avec la philosophie du doute, c’est qu’elle inspire une énorme résilience. Chaque question, même dérangeante ou irritante, permet d’apporter une nouvelle connaissance du monde, de l’autre ou de soi.
En partant du principe que la zététique s’appuie sur le scepticisme scientifique, j’ai tendance à penser qu’elle devrait peut-être réserver sa méthodologie aux sciences dures, en débunkant ce qui en relève. Cela lui éviterait d’appréhender un fait historique uniquement en fait scientifique dur.
Pour moi, cela est une erreur de logique, mais cela n’engage que moi, et c’est ce qui justifie la mise en avant de ma petit personne par le “je”.
À mon zététicien du jour, qui me lira peut-être : merci ! De cette tension, j’ai appris. J’espère que toi aussi.


